La possibilité d’intégration des intellectuels qui fuient leurs pays est déterminée par leurs compétences linguistiques générales dans la ou les langues du pays d’accueil. Mais pour des chercheurs et enseignants-chercheurs, les possibilités de construction ou de maintien d’une vie académique dans toutes cesdimensions (cours, colloques, écriture) supposent qu’ils deviennent très rapidement des locuteurs avancés et qu’ils mettent en place une flexibilité cognitive et psychologique touchant à l’intime de leur vécu linguistique et de leur identité intellectuelle.
L’autre spécificité de cette catégorie d’apprenants « d’instruction élevée » concerne leur rapport à l’écrit (orthographe et lecture), aux écrits (journaux, littérature, textes scientifiques dans leur domaine de compétence) dans la langue cible, à la valeur légitimante qu’ils lui accordent (par rapport à l’anglais pour le français par exemple) ainsi qu’à l’usage métalinguistique plus ou moins systématique et explicite qu’ils en font dans leur démarche d’appropriation. L’expérience que nous avons maintenant de l’accueil de « chercheurs en danger » dans le cadre du programme PAUSE à Paris 8 montre à quel point ces questions liées à l’appropriation linguistique qu’ils doivent nécessairement faire quand ils arrivent en France jouent un rôle central dans leur intégration comme dans leur ressenti d’exilé et leur capacité de résilience. Et de manière peu étonnante l’insécurité linguistique, culturelle, personnelle reflète assez directement le niveau de maitrise du français à leur arrivée. On retrouve d’ailleurs trace de ces questions dans les entretiens ou les écrits archivés de chercheurs exilés venant majoritairement d’Europe centrale et d’Europe de l’Est avant et pendant la seconde guerre mondiale.
Des recherches assez peu nombreuses ont été pour l’instant développées pour les apprenants « d’instruction élevée » (Labeau & Myles, 2009, Projet AAA (Bartning https://www.biling.su.se/english/research/research-projects/high-level-proficiency-in-second-language-use-theprogram-aaa-1.91576 ; Forsberg-Lunnell & Bartning, 2015) mais elles concernaient des personnes ayant librement choisi pour diverses raisons d’apprendre une langue étrangère et éventuellement de s’expatrier. Elles n’ont jamais été abordées pour des apprenants locuteurs exilés ayant fui leur pays et se trouvant en situation d’urgence ou « en danger ».
Ces thématiques seront abordées via l’étude psycholinguistique et sociolinguistique expérimentale et exploratoire des compétences linguistiques de lauréats PAUSE croisant les facteurs dits “objectifs” (langue maternelle, langues dans lesquelles ont été menées les études, langues de publication) et les facteurs “subjectifs” reflétant le vécu linguistique et identitaire des personnes interrogées et leur rapport socio-affectif à la langue cible. Les données recueillies seront comparées avec les données obtenues dans deux autres enquêtes
- ESF (Perdue, 1993) qui concernait des exilés, des immigrés politiques et économiques adultes relativement peu instruits en langue maternelle
- Dynascript (projet en cours à SFL) qui étudie les invariants et les spécificités de l’accès à la littératie pour des catégories d’apprenants varié
s
Sandra Benazzo |
Professeure |
SFL : U. Paris 8 & CNRS |
Ewa Lenart |
Maître de conférences |
SFL : U. Paris 8 & CNRS |
Rebekah Rast |
Professeure |
SFL : U. Univ. Américaine & CNRS |
Sarra El Ayari |
Ingénieure de recherche |
SFL : U. Paris 8 & CNRS |
Coralie Vincent |
Ingénieure d’etudes |
SFL : U. Paris 8 & CNRS |
Nisrine Al Zahre |
Maître de Langue |
EHESS, chercheure associée SFL |
Pascale Trévisiol |
Maître de conférences |
Université Paris 3 |
Laura Lohéac |
Directrice du programme PAUSE |
Collège de France |
Al Zahre N. (2016) Tout nu, tête haute, Revue Etudes, n°426 (juillet-août 2016)
Canut C. & Mazauric, C. (2014) La migration prise aux mots, mise en récits et en images des migrations transafricaines, Le Cavalier Bleu, Editions
Forsberg-Lunnell F. & Bartning I. (2015) Cultural Migrants and Optimal Language Acquisition, SLA 4.
Jeanpierre. L. (2004) Des hommes entre plusieurs mondes. Étude sur une situation d’exil. Intellectuels français réfugiés aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale, thèse de sociologie, EHESS.
Jeanpierre L. (2010) Les structures d’une pensée d’exilé. La formation du structuralisme de Claude Lévi-Strauss , French Politics, Culture and Society, vol. 28/1, Spring, p. 58-76.
Labeau E. & Myles F. (2009) The advanced learner Variety, the case of French, Peter Lang
Laborier P. & Wauquier S. (2019). Les libertés académiques, une affaire d’État ? L’exemple de la création d’un programme dédié en France (2017) in M. Duclos & Anders F. (éd.), Liberté de la recherche. Conflits, pratiques, horizons, Kimé, Paris
Labov, W. (1978/1993). Le parler ordinaire. PUF.
Singleton D., Regan V & Debaene E (2013) Linguistic and cultural Acquisition in a Migrant Community, SLA